Les agents dans le sport (7/8), Marc Corstjens : “J’ai fait de ma passion pour l’athlétisme mon métier”
Toute cette semaine, nous vous proposons une plongée dans le monde des agents. Septième épisode avec Marc Corstjens, le manager belge le plus influent dans le milieu du premier sport olympique.
- Publié le 10-02-2023 à 08h07
- Mis à jour le 10-02-2023 à 10h18
Il est l’un des six managers belges bénéficiant de la reconnaissance de World Athletics et celui qui compte le plus grand nombre d’athlètes dans son portefeuille avec près de 150 sportifs dont une trentaine figure dans le top 30 mondial de leur discipline. Marc Corstjens (57 ans), ancien spécialiste du demi-fond ayant détenu plusieurs records de Belgique, ne se prédestinait pourtant pas à devoir gérer la carrière d’autres athlètes.
”J’ai une formation d’ingénieur agro-industriel ! Rien à voir, donc, avec mon métier actuel”, sourit-il, en nous recevant dans les bureaux de Golazo, son employeur, à Paal-Beringen. “Mon diplôme ne m’est pas d’une grande utilité, c’est vrai, sauf quand j’évoque leurs conditions de vie avec les athètes kenyans ou éthiopiens. Là-bas, quasiment tout le monde fait un peu d’agriculture, possède quelques vaches, et je peux très facilement parler avec eux de la vie à la campagne.”
Tom Van Hooste, son premier athlète
Inconsciemment, le natif d’Oudsbergen avait pourtant préparé le terrain à sa reconversion dès la fin de sa carrière.
”J’ai été athlète jusqu’en 1994-95 et, après avoir souffert de quelques blessures sérieuses, je me suis mis à réfléchir à l’après. Mon agent, Bob Maes, me disait toujours : dis bonjour en arrivant et à bientôt en partant. Conseil que j’ai suivi et je me suis fait beaucoup de contacts parmi les organisateurs. Puis un jour, j’ai été contacté par Tom Van Hooste, qui revenait de blessure et n’avait plus de manager. Il m’a demandé si je pouvais l’aider, ce que j’ai accepté volontiers. Il fut donc mon premier athlète et il a encore fait une belle carrière, en particulier dans le cross-country. Quelques mois plus tard, Joeri Jansen et Jurgen Vandewiele nous ont rejoints dans le cadre du projet Atletiek Vlaanderen. Je suis alors vite devenu, à la ligue flamande, la personne de contact pour placer les athlètes dans les meetings à l’étranger.”
Marc Corstjens a appris le métier tout seul, dit-il, “en voyageant dès que c’était possible” pour rencontrer tous ceux qui font la pluie et le beau temps dans l’athlétisme mondial. “J’ai investi beaucoup de temps afin de nouer des contacts personnels avec chaque organisateur. Cela me semblait indispensable de les rencontrer au moins une fois par an.”
Direction : le Kenya
En 2007, une proposition de Bob Verbeeck, un autre ancien athlète à la tête du bureau de marketing sportif et d’événements Octagon CIS (l’ancien nom de Golazo) allait changer le cours du destin du Limbourgeois, dont les activités dans l’athlétisme avaient fini par prendre le pas sur la profession d’enseignant (mis en pause pendant cinq ans) qu’il occupait dans une école agricole de Bocholt.
”Bob avait un gros projet au Kenya et il m’a proposé d’intégrer sa structure pour y jouer un rôle important. J’ai sauté sur l’occasion alors que, par facilité, j’aurais très bien pu continuer mon métier à l’école. Pourquoi le choix de l’athlétisme ? Parce que c’est ma passion ! Je peux dire aujourd’hui que j’ai fait de mon hobby ma profession et j’en suis très heureux.”
Avec l’apport des Africains, le nombre d’athlètes sous la coupe de Marc Corstjens a alors explosé pour lui qui travaillait principalement avec des Européens jusqu’alors. Aujourd’hui, à peine 10 % de son portefeuille est composé d’athlètes belges mais il ne s’agit pas des moindres : Noor Vidts, Cynthia Bolingo, Eliott Crestan, Ismaël Debjani, Isaac Kimeli, Anne Zagré, Thomas Carmoy, Rani Rosius ou encore Elise Vanderelst, par exemple, comptent tous sur les services de Golazo Personalities.
”Mon groupe est vraiment international”, reprend l’agent, répondant en français, en néerlandais, en anglais et en allemand aux appels téléphoniques interrompant brièvement l’entretien. “Aux Jeux olympiques de Tokyo et aux derniers championnats du monde, je comptais environ 30 athlètes représentant 15 nations. Bien sûr, je ne fais pas tout seul, il y a une équipe autour de moi même si c’est mon visage que l’on voit le plus souvent.”
Des contrats d’un an
Impossible cependant de venir en aide à tous ceux qui le sollicitent : Marc Corstjens doit faire des choix “et refuser beaucoup d’athlètes, certainement en Afrique.”
”Cette année, j’ai dit non à des Marocains qui se sont proposés alors qu’ils valent 1:44 sur 800m et 3:35 sur 1500m. Vous imaginez ? Mais quand tu sais à l’avance que tu ne pourras pas aider un athlète, parce que tu en as déjà beaucoup dans les mêmes épreuves, à quoi bon entamer une nouvelle collaboration ? Il faut être honnête. Pour un jeune, en revanche, je dis généralement oui. Parce que je suis passé par là et je sais à quel point on a besoin d’aide en début de carrière.”
Réserver les vols de nos athlètes qui voyagent à travers le monde, c’est le plus gros du boulot.
Un athlète qui s’engage avec Marc Corstjens le fait pour une durée d’un an. “C’est la volonté de World Athletics d’avoir des contrats courts, je ne sais pas vraiment pourquoi. Ce n’est pas très correct parce que notre travail s’effectue plutôt sur du long terme, sur deux ou trois ans au minimum. Mais c’est le règlement : on doit resigner chaque année avec les fédérations et avec les athlètes, et toute l’administration est à refaire d’année en année. C’est compliqué.”
Trouver des bons meetings aux athlètes dont il a la charge est la partie la plus visible et la plus connue du métier d’agent occupée par Marc Corstjens. Ce n’est toutefois pas celle qui prend le plus de temps.
”Réserver les vols, c’est le plus gros du boulot”, dit-il. “Il faut organiser tous les voyages de nos athlètes et on s’expose donc à certains risques comme des annulations. Il y a souvent des problèmes. C’est la raison pour laquelle je préfère que les athlètes arrivent sur place deux jours avant leur compétition. S’il se passe quelque chose, on a encore une journée pour se retourner…”
L’ancien champion de Belgique se souvient par exemple qu’en raison de problèmes logistiques, à l’époque, l’Américain Ken Washington était arrivé juste avant sa course, à Hechtel, où il avait quasiment dû se changer dans la voiture le conduisant au stade. “Mais il a quand même gagné son 800m ! Il avait de l’adrénaline jusque derrière les oreilles ! (rires)”
J’essaie quand même d’éteindre mon téléphone quelques heures, sinon je ne survivrais pas.
On peut imaginer, par ailleurs, que la communication est parfois difficile dans certains pays.
”Au Kenya, par exemple, cela va beaucoup mieux qu’il y a quelques années, il y a du réseau partout. Téléphoner c’est parfois encore compliqué mais par écrit, sur Whatsapp, ça passe toujours”, indique Marc Corstjens. “La plus grande difficulté pour moi, en réalité, est de rester disponible pour des athlètes qui voyagent dans le monde entier, et ce malgré le décalage horaire. On peut m’appeler d’Osaka très tôt le matin et des Etats-Unis au début de la nuit. Et tous les athlètes avec qui je travaille, de même que leurs entraîneurs, possèdent mon numéro personnel ! J’essaie quand même d’éteindre mon téléphone quelques heures, sinon je ne survivrais pas.”
D’autant qu’à côté de la saison sur piste, il y a le cross-country, la saison en salle, des périodes pour les courses sur route, et tout s’enchaîne sans véritable temps mort. “Il y a toujours quelque chose !” glisse Corstjens. “Au niveau familial, ce n’est pas si facile…
Sur les rankings : “Il est toujours préférable de penser à la performance”
Le Limbourgeois attend de ses athlètes qu’ils respectent leurs engagements et fassent preuve d’honnêteté.
Le rôle d’agent dans un sport comme l’athlétisme est, aux yeux de Marc Corstjens, bien plus important et bien plus vaste que dans d’autres disciplines. “En football, ce sont les clubs qui ont la charge de leurs joueurs, qui organisent le planning sportif, les déplacements, comme cela se passe aussi dans une équipe cycliste par exemple. En athlétisme, c’est le manager qui établit les plans avec l’entraîneur, qui organise les déplacements des athlètes et c’est la fédération qui va décider in fine de les reprendre éventuellement dans les grands championnats.”
Un bon manager doit être “patient, diplomate et honnête”, juge le Limbourgeois, qui précise qu’il attend aussi de ses athlètes qu’ils fassent preuve de la même correction.
”Je fonctionne à la confiance. Quand je travaille pour quelqu’un, que je le place dans une course, j’attends qu’il respecte ses engagements. Pas question de refuser au dernier moment pour aller courir ailleurs, ça ne marche pas comme ça. J’attends aussi de l’honnêteté sur l’état de forme ou sur des blessures éventuelles. Je ne vais pas payer des tickets d’avion à 1200 euros à un athlète qui va abandonner après quelques kilomètres parce qu’il est arrivé en ayant mal au genou. C’est une forme d’éducation à inculquer aux athlètes.”
Concrètement, comme cela se passe-t-il avec un athlète sous contrat en début de saison ?
”Normalement je discute toujours avec l’athlète et son coach du cadre général. Quel objectif avez-vous ? Quand prévoyez-vous le pic de forme ? Quand partez-vous en stage ? Faut-il tenir compte des études ou d’examens éventuels ? À partir de là, je commence à chercher les meilleurs meetings possible pour cet athlète, en fonction de son épreuve, de son niveau, de la facilité d’accès à certains meetings par les transports. Je fais ensuite une proposition : à mon avis, telle et telle course pourraient convenir. Généralement, avec l’expérience, les managers sont de bon conseil. On sait que les virages sont très serrés sur cette piste-là en salle, qu’il y a souvent beaucoup de vent en extérieur à tel autre endroit. Ce sont des paramètres dont on tient compte. Mais il arrive que des athlètes voient les choses autrement – ils ont de plus en plus tendance à se surestimer – et qu’ils aient des idées fixes en tête. C’est toujours un pari ! Parfois j’arrive à influencer certains choix mais avec les jeunes, cela devient difficile.”
L’introduction des rankings mondiaux comme moyen de qualification pour les grands championnats a renforcé l’importance d’avoir de bons agents afin d’ouvrir les portes des meetings les mieux cotés.
”Aujourd’hui, le premier réflexe d’un athlète est de se demander combien de points il peut gagner en s’alignant dans un meeting. Mais, pour moi, c’est un énorme malentendu ! lance Marc Corstjens. Il est préférable de penser par la performance parce que dans tous les cas, quand tu cours vite, que tu sautes bien, que tu lances loin, tu auras des points et tu entreras automatiquement dans les meetings.”
Les critères internationaux sont pourtant de plus en plus sévères. “C’est vrai mais le niveau monte aussi. En 2022, en 800m hommes, on ne comptait aucun athlète qualifié pour les championnats du monde grâce aux points du ranking. Tout le monde avait réussi les critères de qualification !”
”Besoin les uns des autres”
”Naturellement nous sommes des concurrents parce que tout le monde a besoin de travailler”, dit Marc Corstjens quand il évoque ses relations avec les autres managers. “Chacun noue des relations personnelles et si tu traites bien un coach, tu sais que tu auras des athlètes. Mais les managers ont aussi besoin les uns des autres.” Notre homme sait de quoi il parle puisqu’il est aussi impliqué, parfois comme directeur, dans l’organisation d’une quinzaine de grands rendez-vous (Mémorial Van Damme, meetings de Heusden, Liège et Nairobi, marathons d’Eindhoven et de Rotterdam, semi-marathons, 10 km, etc.). “Il serait idiot de ne travailler qu’avec un manager. Quand on compose une course rapide avec plusieurs top athlètes, tout le monde en profite !”
Plus de satisfactions que de regrets
”Ai-je parfois des regrets ? Oui, de temps en temps, confie Marc Corstjens. Cela arrive de rater des opportunités. Ou de se tromper. Je préfère retenir que j’ai parfois changé pour un mieux certaines carrières. Comme celle de Milcah Chemos, qui était sur la route avant de passer au steeple, où elle a gagné l’argent aux Mondiaux 2009. Mais je ne suis jamais aussi heureux que quand je vois progresser un jeune que j’ai aidé. Une de mes plus grandes satisfactions est liée à Pamela Jelimo, que nous avions détectée et qui est devenue championne olympique du 800 m en 2008. Rose Chelimo, championne du monde de marathon, a, elle, donné le prénom Marc à l’un de ses enfants. Un beau signe de gratitude…”
”Quand un athlète gagne, moi aussi”
Au-delà des problèmes logistiques, c’est l’augmentation des frais qui pose le plus de problèmes. “Le prix des billets d’avion, comparé à 2019, a augmenté de 30 %. Même chose pour les billets de train, pour l’essence, etc. Les remboursements des meetings – sauf les plus grands – ne sont pourtant pas plus importants : il y a moins de sponsors, moins de soutien financier. Ce n’est pas un métier que tu fais pour l’argent, les montants n’ont rien à voir avec ceux qui circulent dans le football, indique notre interlocuteur. Personnellement je perçois un pourcentage de l’ordre de 15 %. Quand l’athlète gagne quelque chose, moi aussi. S’il ne gagne rien, moi non plus. On espère que les choses s’équilibrent à la fin.”